21 Janvier 2016
" Tiens dans ta gueule " semble avoir murmuré Jon Bassoff quand il a mis le point final à son premier roman Corrosion. Indescriptible plongée dans l'enfer d'un chaos psychologique, d'une violence de personnages au jugement altéré, ce nouvel opus de la collection Néo noir de Gallmeister est un bien sombre bijou. Il y avait quelques mois que l'on n'avait pas lu un tel talent.
Joseph Downs revient d'Irak au volant d'un pick up qui rend l'âme à proximité d'une bourgade du Colorado, Stratton. L'ex-soldat, au visage brûlé dans une embuscade près de Mossoul, va étancher sa soif dans le bistrot du coin. Et tombe sur un mari qui tabasse sa femme. Il la sauve. Elle le met dans son lit. Et lui demande de tuer le mari. Le piège thompsonien par excellence, l'ambiance de Big Jim, la narration à la première personne. Tout y est. Avec un supplément de fin du monde.
Deuxième partie. Benton Faulk, gamin de 16 ans, vit entre sa mère mourante dans la chambre d'à côté, son père qui veut la sauver en testant des médicaments artisanaux sur des rats et une serveuse de dinner qui a 25 ans de plus que lui. Dans ce bordel émotionnel sans nom, Benton va basculer dans la psychopathie. Là,le lecteur se retrouve dans le monde de Donald Ray Pollock, ses personnages aux multiples voix intérieures, jouant avec la mort et les morts.
Ces deux parties vont ensuite se croiser. L'histoire va se coaguler comme sur une vilaine plaie, la croûte va rester molle par endroit, la blessure toujours purulente. Il y a quelques malaises à affronter dans Corrosion. Mais tout cela est sublimée par une écriture à la fois acide et magistrale. Jon Bassof (invité de Quais du polar en avril à Lyon) n'en fait pas des tonnes, il va à l'essentiel, n'épargnant jamais son lecteur pour lui montrer vraiment ce qu'il y a sous le crâne perturbé de Joseph Downs, de Benton Faulk et de ses compatriotes américains. Car c'est bien de l'Amérique dont parle Bassof, pas celle de Woody Allen non. Cette Amérique qui vit dans les mythes effondrés de la défense de la patrie et du Christ rédempteur. Foudroyant.
Corrosion (trad. Anatole Pons), ed. Gallmesiter, 227 pages, 17, 20 euros.