London Nocturne : les petits enfants de Jack the ripper

03/06/2019 07:50

Cathi Unsworth, indécrottable londonienne. Et auteur à la voix de plus en plus affirmée. Qui n'a pas son pareil pour raconter la vie de ses victimes, ces femmes anglaises, délaissées ou pleine d'énergies, mais quoi qu'il en soit aux prise avec un univers hostile, tellement masculin et machiste. Comme dans Bad Penny Blues, il s'agit ici de prostituées, de "belles de nuit", tel que le dit si bien ce London Nocturne, puissant roman autour de la figure de l'inspecteur Greenaway. La capitale britannique vit à l'heure du couvre feu, en cet hiver 42, sous les bombes de la Luftwaffe. Rues éventrées, immeubles à terre, tickets de rationnement... mais l'esprit de Londres n'est pas mort : on reconstruit le pont Waterloo, les pubs restent ouverts, très fréquentés et sur les trottoirs, des femmes tentent d'attirer le client, pourquoi pas l'un de ses innombrables soldats en poste dans la cité. Ce qui frappe dans London Nocturne c'est la précarité de ces Anglaises, ou Irlandaises, jetées dans la rue, offertes aux hommes, par nécessité. Des quatre victimes du premier prédateur, seule une aura réellement choisi cette vie de sexe tarifé. Parce que oui, London Nocturne, est un roman articulé autour de Greenaway et de deux enquêtes pour des homicides sur des femmes. Quasiment en même temps. Et deux fois, l'inspecteur mettra la main sur un suspect.
Cathi Unsworth donne à lire un Londres ouvrier, un Londres pas forcément fréquentable avec sa voyoucratie juive mais aussi une société à la fois très moderne, à travers le combat d'une femme contre la peine de mort, et très crédule, comme en témoigne ses nombreuses réunions de voyance, de médium, très rétrograde, dans son rapport aux femmes. Unsworth fournit un très gros effort de construction pour faire tenir les deux intrigues (tirées de deux authentiques faits divers), tout en donnant cette chair indispensable aux victimes et en saupoudrant de contextes de société. C'est très bien ficelé, adroit et souvent passionnant. On regrette quelques raccourcis dans le deuxième procès mais rien de fâcheux, London Nocturne est l'occasion de visiter une capitale pas totalement disparue, qui aime faire fructifier son ambiance gothique, qui aime toujours ses murs de briques et ses rues coupe-gorge. Les amoureux de Londres se retrouveront dans ce polar.
A souligner, l'honnêteté de Cathi Unsworth qui cite toutes ses sources de travail, avec une biographie précise mais aussi le nom des personnes rencontrées pour l'écriture de ce texte.

London Nocturne (Without the moon, trad. Isabelle Maillet), ed. Rivages, 373 pages, 22, 80 euros