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The killer inside me

Littérature noire

Rose Royal : sociologie lumineuse d'une femme française

"Car les gens étaient seuls, tous accaparés par leur boulot, leur existence productive et empressée. Tous divorcés à 40 ans, accros à la baise, , aux écrans, transplantés dans des villes inconnues, dévorés par une fièvre de perpétuel changement qui s'étendait jusqu'à leurs ydilles., ils se retrouvaient en fin de compte à pianoter sur leur ordinateur dans leur lit tard le soir, en espérant qu'un hypothétique rendez-vous vienne les sauver. Ces innombrables solitudes, niées à coup d'achat online et e plateaux télé étaient la trame même des réseaux et de la modernité. Elles constituaient le gisement aurifère de notre temps. Sur ce ramassis de distance et de détresse, les GAFA faisaient leur beurre. Des milliards de dollars naissaient de ce malheur disséminé."
Sous l'écorce d'une écriture musclée et visuelle, Nicolas Mathieu reste un animal politique au sang chaud, un auteur qui souffre, pas de voir la société évoluer mais de la voir sombrer, dans un consumérisme vampirisant, un libéralisme individuel qui n'aurait plus que la violence comme mode de communication. Violence des politiques, violence des hommes. Rose veut s'en prévenir en achetant sur internet un petit flingue qu'elle trimballe dans son sac à main. Secrétaire de direction, la cinquantaine encore sexy, elle n'a plus d'aventures sérieuses. Juste des histoires ramassées au comptoir du Royal, le troquet de Nancy où elle retrouve son amie Marie-Jeanne pour écluser quelques verres. Et puis Luc débarque dans sa vie : un peu marlou avec son SUV allemand, ses chantiers au black. Mais une vie de prince.
Cette collection In8, menée de main de maître par Marc Villard, recèle d'incroyables pépites et Rose Royal de Nicolas Mathieu en est une de plus. Il faut lire ces premières lignes, comment en ouverture, sur une demi page, il parvient à saisir l'essence de Rose, traversant le boulevard. L'auteur a une bienveillance, aussi tendre que rugueuse, pour cette femme habituée à la solitude et qui a envie de croire au bonheur. Mais pas à n'importe quel prix. Elle a cette conscience de femme, disons moderne ou actuelle, qu'un homme n'a aucun droit sur elle sinon celui de l'aimer. Le calibre est là pour ça.
Et en creux, Mathieu dessine une France malheureuse, coincée, incomprise, avec ses écarts de richesse toujours plus évidents. Rose Royal n'est pas un manifeste politique, pourtant comme dans Aux animaux la guerre ou Leurs enfants après eux, il y a cette sociologie qui colle au récit, qui se coule dans la narration, rien de scientifique, de démonstratif, un simple pas de côté pour poser le contexte de ces vies. C'est court et c'est excellent.

Rose Royal, ed Polaroid, collection In8, 77 pages, 8, 90 euros

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