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The killer inside me

Littérature noire

Metropolis : le coeur serré, on lit le dernier Philip Kerr

" Théa ? Bernie Gunther à l'appareil. Que diriez-vous de dîner avec moi ? J'ai quelques excellentes idées pour votre scénario." Voici donc les derniers mots de la dernière aventure de Bernie Gunther, le fascinant personnage créé par l'Ecossais Philip Kerr, dipsaru il y a deux ans. Et en refermant Metropolis, inutile de préciser que l'on se sent triste, un peu seul avec ce sentiment de perte. C'est que l'on s'attache à ses auteurs, que l'on imagine, peut-être à tort, si proche de leurs protagonistes.
Dans Metropolis, Bernie Gunther est jeune. C'est donc un virage à 180° pour Philip Kerr qui avait déjà fait entrer son policier dans l'après guerre avec L'offrande grecque. Et ce n'est pas sans risque de retourner aux vertes années d'une série, Indridason, notamment, s'y est un peu brûlé les ailes. Mais pas ici. Metropolis est une fois de plus un magnifique polar. Gunther est intégré à la division criminelle de l'Alex, la police berlinoise, un département dirigé par un juif. Et en 1928, cela fait déjà beaucoup parler. Mais on parle aussi beaucoup de Winetou, un tueur qui s'en prend aux prostituées et les scalpe ! Pas le temps de lui mettre la main dessus qu'un autre assassin "nettoie" les rues de Berlin de ses culs de jatte, revenus défaits, des tranchées françaises. La capitale allemande, avec ses quatre millions d'habitants, est un cloaque où tous les vices semblent permis. L'épouse de Fritz Lang, qui vient de sortir Metropolis, cherche justement des policiers pour un projet de film sur un tueur en série... Bernie Gunther fait bonne figure, mais les quatre ans sous les drapeaux lui ont retourné le cerveau. Heureusement, pour tenir il y a l'alcool. Ce qui fait dire à l'un de ses supérieurs qu'il sent "le tapis de bar", ave son "haleine de brasserie". Et puis Gunther est un bon. Bon dans l'action, même s'il se fait uriner dessus par une prostituée, bon dans la vie, avec les hommes comme avec les femmes.
Metropolis peut passer pour wodunit classique. Mais tout le monde sait qu'avec Philip Kerr c'est bien autre chose. D'abord il y a cette reconstitution historique. Le travail, là, force le respect comme d'habitude. Les journaux, les voitures, les personnages (avec annuaire en fin de roman), tout est vrai. Mieux que la Dolorean de Marty McFly, la prose de l'auteur de la trilogie berlinoise. Et ce n'est pas de l'étalage de connaissances, non, juste un voyage. Parce que, autour, il y a tout le style de l'enfant d'Edimbourg, un hurmour détaché, le goût des mots également, un soin apporté aux dialogues. Sans oublier cette bienveillance. Spécialement dans cette aventure où il rencontre des vétérans de La grande guerre, mutilés, ou bien une femme qui chante en fauteuil roulant et ce "centipède humain." L'ambiance est très lourde à Berlin : dix ans après l'armistice, le pays souffre, se divise entre nazis et communistes.
Kerr a étudié les philosophes allemands dans sa jeunesse et en a tiré une oeuvre qui baigne de ses études comme de son humour british, offrant des romans uniques, presque frappés d'une double culture. Jusqu'au bout il aura manié cette drôlerie, digne héritier, en somme, des Monthy Python : "il devenait Eric Ludendorf quand il mettait un peu moins de cire sur le blaireau mort qu'il appelait une moustache... le restaurant de l'hôtel Adlon était le plus cher de Berlin. Je le savais car j'avais vu sur le menu les demandes de rançon qu'avec humour ils appelaient des prix... Vous commencez à parler comme un nazi, dit Weiss. - Je ne porte jamais de brun. C'est une couleur qui ne me sied pas au teint..."
Enfin, les amateurs apprécieront le clin d'oeil à Ian Rankin, cadet écossais de Philippe Kerr.


Metropolis (trad. Jean Esch), ed. Seuil, 392 pages, 20 euros
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