Littérature noire
10 Novembre 2016
Le dessinateur et plasticien Marc-Antoine Mathieu est peut-être l'un des plus grands génies de la bande dessinée moderne. Lui donnant des lettres de noblesse qu'il est le seul à offrir. Avec Otto l'homme réécrit, il pousse encore un peu plus loin le bouchon de la réflexion sur l'humanité, l'essence de l'homme, sa place dans l'univers, mais aussi son histoire personnelle, ses traces de l'enfance. Otto est un grand artiste contemporain, spécialiste de la question du double à la fois dans l'art et dans la société. Lorsque ses parents décèdent, ils lui laissent un vieux pavillon de banlieue et une malle. A l'intérieur, le fruit d'un travail scientifique sur les sept premières années de sa vie : chaque jour de zéro à sept ans y est raconté dans le détail, sur carnets, en vidéo. Un vrai saut dans le vide pour Otto qui va s'isoler pour se replonger dans ses confettis de souvenirs. Quelle expérience juvénile lui a transmis le goût de l'art ? Quel jeu a provoqué l'homme qu'il est devenu ? Est-il le fruit seulement de cette enfance, des gênes de ses parents mais aussi de l'humanité passée ? Que va-t-il se passer s'il se replonge trop loin dans cette malle ?
Les questions de Marc-Antoine Mathieu sont profondes, parfois, un temps, obscures, mais s'éclairent très vite à l'aune des réponses qu'Otto apporte. L'auteur, vrai érudit, s'interroge tant sur l'art et son art que sur notre place dans ce monde, sur cette planète. Ces réflexions sont aussi labyrinthiques qu'un réseau de synapses, le lecteur s'y perd dans un splendide vertige graphique et puis soudainement reprend le fil. La profondeur du propos, intelligent mais pas lénifiant, est porté par le légendaire noir et blanc ce Marc-Antoine Mathieu, architecte de la case, savant dessinateur. Les fans retrouveront bien sûr le trait de son personnage Corentin Acquefaques mais aussi les perspectives hypnotiques aperçues dans Le dessin ou 3 secondes. Une bande dessinée qui est un grand livre (dans un format italien plus qu'élégant).
Otto l'homme réécrit, ed. Delcourt, 82 pages, 19, 50 euros